Lendemain de fête

Quand le bonheur égoïste est le seul but de la vie, la vie est bientôt sans but.
R. Rolland.

Je me promène partout avec mes rancoeurs et mes désillusions ; le fardeau s’alourdit. Je le pose sagement dans un coin, bien rangé. Puis je déballe, comme ça, sans y penser, tout naturellement, morceau après morceau. Un petit coup de déception par ci, un mauvais souvenir par là…
Quand tout est déballé ou presque, ça devient vite le bordel, une chambre pas rangée, on ne peut plus mettre un pied devant l’autre. Je suis débordée, envahie, submergée, comme quand on n’arrive pas à fermer sa valise avant de partir en vacances : trop de robes, trop de chaussures… Tu n’en mettras encore que la moitié… Pourquoi tu trimballes tout ça ? On ne sait jamais.
Panique, déroute. Il faut supprimer, éjecter ; mais en rancoeurs comme en vêtements je suis soucieuse des apparences. Hors de question de me tacher dans un éclat. Il vaut mieux tout replier soigneusement, s’asseoir sur la valise et aller la poser ailleurs.
Toute seule assise sur ma valise qui déborde, je rumine, je fulmine. Que les gens sont laids, qu’ils sont bêtes, pourquoi ne font-ils pas plus attention à moi ? J’existe, merde ! Vous le croirez si vous voulez, ça ne donne rien. Il paraît que j’aurais tout intérêt à exprimer mes attentes, mes souhaits, mes désirs. Je ne comprends vraiment pas ; comment peut-on ne pas voir ce que j’attends, ce que je souhaite, ce que je désire ? Je suis sûre que c’est aussi énorme et voyant que l’énorme valise que je traîne en soupirant. C’est juste qu’ils ne font pas d’effort.
Je veux qu’on m’attende, qu’on me souhaite, qu’on me désire, qu’on ne respire que par mon souffle. Rien que ça. Ce n’est pas compliqué, pourtant. Il se trouve hélas des gens assez égoïstes pour ne pas penser à moi.
La question demeure donc entière : soit je remballe tout dans ma fierté, et je pars vivre toute seule sur ma valise, soit je me contente de l’imperfection qui m’entoure et je m’équipe d’un bagage plus spacieux.