mercredi 3 novembre 2010

Neuf mois #3

Le bébé de Léna
Mois 4.


Dans la nuit qui a suivi la « révélation », le ventre de Léna s’est enfin arrondi. Depuis qu’elle l’autorise à exister officiellement, le bébé prend ses aises. Dès le lendemain, elle a entrepris à bras le corps ce qu’elle refusait de faire jusqu’à présent, par superstition. Pour la première fois de sa vie, elle a trouvé sa mère parfaite : pas une question, pas une ombre de doute. Depuis, elle prévoit, pourvoit, sans s’immiscer, sans même conseiller, par crainte sans doute d’être proprement éjectée de la vie de son premier petit enfant avant même qu’il ne naisse. Elle guette les interrogations de Léna, se contente de l’accompagner, de choisir avec elle le nécessaire de la future parturiente, surprise en silence par toutes ces nouveautés qu’on leur présente comme indispensables. Elle a commandé le berceau qu’elles avaient choisi ensemble, attendu le livreur mais s’est interdit de l’installer elle-même. Elle a patienté tout l’après-midi sur le canapé du minuscule F2 sans même toucher à l’aspirateur. Le patron de Léna ne l’entend pas de cette oreille. Il ne décolère pas. Il comptait lui proposer enfin ce poste de directrice d’agence dont elle rêvait en escomptant que son statut de femme célibataire ne lui mettrait pas de bébé dans les pattes. Il s’est contenté de hausser les épaules et l’évite soigneusement depuis. Il l’a mise au banc de sa cour en attendant de la mettre au placard. Les collègues de Léna lui sourient tout haut et cancanent tout bas. Léna s’en moque royalement, un éternel sourire fiché sur les lèvres. La maternité où elle accouchera est choisie ; la crèche promet une place, sur liste d’attente. L’indispensable Marianne se rend plus indispensable encore, même si son obstination à la traîner à des séances de sophrologie devient un peu pénible. Chaque soir, Léna étudie, avec le sérieux d’une candidate à un examen, tous les manuels de la mère parfaite, tout en espérant sentir enfin les mouvements de la vie qui s’épanouit au plus profond d’elle.

Le K de Clémence
Mois 4.


Clémence a pris la fuite. Les trois premières séances de chimio, elles les a supportées, les dents serrées, en bon petit soldat. La perte des cheveux, de l’appétit et des kilos, la fatigue, les nausées permanentes, le teint blafard, les poches sous les yeux, les insomnies, elle a tout enduré sans se plaindre. Maintenant, elle se sent réellement malade, pas malade de la maladie, malade du traitement, et il lui reste encore autant de route à parcourir, encore trois séances. Elle a déserté. Un matin, elle s’est levée dans l’appartement silencieux, s’est contemplée sans complaisance dans la psyché de sa chambre. Son corps porte les stigmates du poison. Il se fane, se recroqueville, se flétrit sous les assauts répétés du produit qu’on lui injecte à intervalles réguliers. A la veille de la prochaine cure, elle a jugé qu’il n’en pouvait plus, qu’une de plus signerait son arrêt de mort. Elle a jeté l’éponge, fourré quelques vêtements dans un sac, abandonné la perruque, enfoncé un bonnet jusqu’aux oreilles, pris ses cliques et claques en direction des Cévennes. Marianne lui a longuement parlé de ce centre de méditation perdu dans la montagne, tenu par un couple qui pratique la « psychosynthèse ». Clémence se revoit à ce déjeuner, à la fin de l’été, triturant son pain tout en écoutant d’une oreille distraite. Chaque année, Marianne a une nouvelle passion : méditation bouddhiste, retraite chez les bénédictins, relaxation taoïste, sans parler des stages de poterie ou d’enluminure médiévale, de la sophrologie et du yoga. Elle prétend rentrer complètement apaisée, en parfait accord avec son moi. Par camaraderie, Clémence s’abstient de lui faire remarquer qu’elle continue de chercher tout de même. Ce centre dans les Cévennes est, aux dires de Marianne, un véritable paradis, les séances de relaxation et de méditation dirigées par les « gourous » de purs moments de bonheur qui lui ont permis (encore une fois) de retrouver la paix intérieure et extérieure (sic). Clémence cherche avant tout à se cacher, jamais on ne la cherchera là-bas, peut-être qu’elle pourra en prime soigner son esprit, à défaut de son corps. Elle sent bien que ses doutes lui seront une entrave, mais elle n’est pas prête à s’en départir. Dix heures plus tard, à peine descendue de voiture, elle s’effondre en pleurs dans les bras du propriétaire du centre. Entre deux sanglots, elle tente de lui expliquer que la mort la traque, qu’elle veut l’attendre ici.

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