L’audience touchait à sa fin. Interminable, une fois de plus. Mais il avait bataillé ferme. L’affaire était loin d’être gagnée d’avance, comme toutes celles qu’il défendait d’ailleurs. C’est ce qui faisait leur intérêt à ses yeux. Et à ceux de ses clients.
Un énième braquage qui avait mal tourné. Un seul braqueur comparaissait, son client, les autres ayant réussit à prendre la fuite. Parce qu’ils demeuraient introuvables, et parce qu’elle avait un des leurs sous la main, la justice voulait faire du procès de ces bandits à la grande semaine, un exemple, donnant un arrière-goût de « n’y revient pas » à des acolytes qui ne devaient pas manquer de suivre tout cela de très près, du fond de leur planque.
Verdict : douze ans fermes. Peine incompressible. Pas mal se dit Kevin. D’autant que les deux convoyeurs avaient, quant à eux, définitivement passé l’arme à gauche.
C’est dingue ce qu’on peut faire pour du fric. Tout cela pour passer le restant de ses jours exilé à l’autre bout du monde dans une kitchissime prison dorée. Chacun ses rêves vous allez me dire. En attendant les dorures, Fred, comme ils l’appelaient dans le milieu, allait pouvoir continuer à tisser sa toile dans une quelconque centrale dont le fonctionnement n’avait depuis longtemps plus vraiment de secrets pour lui. Et comme c’était un « boss », il allait attendre bien au chaud d’aller récupérer enfin le magot, usant de sa notoriété pour « aménager » au mieux sa peine.
Kevin salua son client avant qu’il ne quitte la salle d’audience, les menottes aux poignets.
- Prenez soin de vous Fred !
- T’inquiète pas pour moi, mon vieux. Je te dis pas à bientôt, ça risquerait de me porter la poisse !
- Vous avez raison, dit Kevin, un sourire aux lèvres.
Toujours aussi provocateur, le Fred, pensa-t-il joyeusement en voyant les mines déconfites des deux policiers qui l’encadrait.
Kevin récupéra ses dossiers, alla saluer le président et les jurés, fit un rapide signe de tête à son confrère et sortit dans la salle des pas perdus.
Il repensait à cette journée qui le laissait encore perplexe. Non pas qu’il ne fut pas content de sa prestation du moment, bien au contraire, mais il ne cessait de repenser à cette histoire de canette, de voisins curieux et d’accident. Plus la journée avançait, plus il avait du mal à croire à un concours de circonstances.
Alors qu’il s’apprêtait à sortir du tribunal pour regagner son bureau, Kevin s’arrêta devant la porte vitrée à double battants. Une femme qu’il ne semblait pas connaître, mais qui pourtant lui paraissait bien plus familière qu’une simple étrangère, ouvrit la porte, lui fit un sourire si charmant qu’il ne pouvait même plus esquisser le moindre geste, lui demanda d’une voix douce et posée s’il comptait rester planté là encore longtemps et referma la porte derrière elle, voyant que ce malotrus ne comptait pas faire preuve de la moindre galanterie à son égard. Elle repartit d’un pas assuré, lui assénant un « merci » plus ironique que moqueur, plongeant ses beaux yeux bleus dans ceux de Kevin. Celui-ci se retourna alors pour la regarder partir, humant dans l’air les effluves d’un parfum de liberté. C’était bien la première fois depuis son mariage avec Adèle qu’une femme lui faisait tant d’effet. Et il ne la connaissait même pas ! Mais quelle mouche l’avait bien piquée aujourd’hui ?
Kevin essaya tant bien que mal de redonner au reste de sa journée un semblant d'air de routine. Mais rien n’y fit.
Il repartit tardivement du bureau. Il avait prit tant de retard sur le programme prévu, avec tous ces évènements. Il ne rentra chez lui qu’à vingt deux heures trente, fourbu. Et pensif. Les enfants étaient déjà montés dans leur chambre et Adèle l’attendait, un verre de Bordeaux à la main.
- T’aurais pu me prévenir, je commençais à me faire un sang d’encre !
- Désolé…
- T’as passé une bonne journée j’espère, au moins ?
2 commentaires:
Ce que je suis contente, et touchée! Avant même de lire! J'ai bien envie de me réserver la lecture pour plus tard, pour la peine, pour laisser le plaisir durer!
Une poire pour la soif... et une autre pour la route.
Bonne lecture, cher lectrice assidue et non moins, de source sûre, championne de la tarte au chocolat !
Enregistrer un commentaire