Les semaines défilaient et Kevin enchaînait les audiences. Heureusement pour lui, la pègre avait encore de beaux jours devant elle. La rente était donc assurée pour le reste de sa carrière et les affaires lui permettant d’asseoir sa réputation au barreau étaient pléthore. Kevin était une nouvelle fois débordé et il en avait presque réussit à chasser de son esprit la désagréable impression d’être l’objet d’une sombre cabale, se faisant l’impression peu convoitée d’être la proie d’intérêts aussi irréels que mystérieux.
C’est donc en cette neigeuse quoiqu’agréable journée de décembre que débutait le dernier procès que Kevin devait défendre cette année-là. Une banale histoire de mœurs en l’occurrence, celle d’un mafieux dont la femme avait été assassinée après avoir subit d’horribles et interminables tortures, trois jours durant. La pauvre femme avait été retrouvée nue, baignant dans son sang depuis la veille.
Félix Landard, dit « Féfé », se trouvait sur les lieux du crime. Le cher et attentif mari qu’il était détenait un taux d’alcoolémie à faire pâlir de jalousie le premier pilier de comptoir venu. Il avait fait l’objet d’une dénonciation « anonyme » et malgré le refus catégorique qu’il opposait aux accusations qui lui étaient adressées, toutes les preuves et tous les témoignages restaient à son encontre à sa très grande charge.
Pour Kevin, il ne faisait aucun doute que Landard n’avait pas supporté que sa femme le trompe avec son ennemi juré, le roi des caïds et la plus grosse frappe du quartier, le tombeur de ces dames : « Paulo le jeune ». Il avait alors décidé de faire comprendre très pragmatiquement à madame les bonnes manières. Il avait aussi projeté de faire la peau à ce « salaud de Paulo », mais il n’en avait pas eu le temps, fort malheureusement aux dires des flics qui l’avait arrêté.
C’est sur cette petite touche amoureuse que l’année se terminerait pour lui. Tout comme pour son client. A la différence près que Landard n’aurait pas à se soucier du menu du repas du réveillon. C’était toujours cela de gagné, pensa-t-il.
Kevin le rejoignit dans la salle d’audience. Il voulait lui donner ses dernières instructions avant le début du procès, d’autant plus que le bonhomme en question était plutôt du genre volubile, ce qui n’arrangerait sur ce coup-là, nullement ses affaires.
Landard le salua, lui fit part du manque de « courtoisie » de ses geôliers, ce qui, en de telles circonstances, ne manquait pas de piquant et lui demanda pour la énième fois combien il risquait « de prendre ». Kevin n’avait pas pour habitude de tergiverser ni même de maintenir ses clients dans une hypothétique rêverie. Il savait qu’ils jouaient gros tous les deux. Et que les jurés ne seraient pas cléments envers un braqueur doublé d’un meurtrier. Il allait falloir qu’il la joue fine. Et que Landard ne la ramène pas trop pour une fois.
Le silence se fit dans la salle. On entendait à peine quelques raclements de gorge et la sonnerie d’un téléphone portable que l’on peinait à éteindre au fond d’un sac à main lorsque la cour entra, avec tout le cérémonial qui incombait à sa haute et puissante fonction. Kévin avait hâte de voir à quoi ressemblait ce nouveau Procureur de la République avec lequel il allait devoir batailler ferme. Il ne savait pas grand chose de lui mais une chose était certaine, sa réputation de pugnacité et d’intransigeance l’avait largement précédé. Le Procureur Dumont, tout un programme lui avait dit ses collègues. Espérons que les places ne soient pas trop chères, se dit-il.
Il vit alors s’asseoir à la place qu’il guettait avec une impatience assez partiellement dissimulée cette femme qui lui avait fait tant d’effet quelques semaines avant, au sortir du tribunal. Le Procureur Dumont était en fait « une Procureuse ». Kevin avait le plus grand mal à cacher sa surprise et son étonnement de voir une femme à un poste comme celui-là. Mal lui avait pris de ne pas avoir anticipé la chose. Il se retrouvait aujourd’hui comme un premier jour de plaidoirie, démunit, et pour le moins, un rien stupide. Quelle image cette femme devait maintenant avoir de sa personne !
- Mesdames et Messieurs, asseyez-vous, s’il vous plait.
Le président attendit quelques instants. Une technique qu’il utilisait fréquemment pour marquer son autorité sur les personnes présentes à l’audience, personnes qu’il ne comptait pas laisser se dissiper une seule seconde.
- L’audience peut commencer. Monsieur le juge d’instruction, je vous laisse la parole.
- Merci, monsieur le président…
Kévin n’arrivait pas à se concentrer sur le moindre mot prononcé par le juge Lambert. Et même s’il connaissait son dossier sur le bout des doigts, il avait le plus grand mal à maîtriser des émotions qui l’envahissaient, sans même pouvoir y remédier d’une quelconque manière. Il risqua un coup d’œil rapide vers cette femme qui lui faisait un si vif effet. Elle semblait ne pas l’avoir remarqué et gardait cette posture fière et parfaitement hautaine qui faisait du Procureur de la République un être tout à fait à part.
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