vendredi 10 décembre 2010

Abîme d'un souvenir

"Alors, Si Abderrahmane se vit sur le bord de l'abîme sans bornes, qui est le néant de toute choses.
Il comprit l'inanité de notre vouloir et la folie funeste de notre coeur avide qui nous fait chercher la plus impossible des choses : les recommencements des heures mortes.
Si Abderrahmane quitta ses vêtements de soie de citadin et s'enveloppa de laine grossière. Il laissa pousser ses cheveux et s'en alla nu-pieds dans la montagne, où, de ses mains inhabiles, il batît un gourbi. Il s'y retira, vivant désormais de la charité des croyants qui vénèrent les solitaires et les pauvres.
Sa gloire maraboutique se répandit au loin. Il vivait dans la prière et la contemplation, si doux et si pacifique que les bêtes craintives des bois se couchaient à ses pieds, confiantes.
Et cependant, l'anachorète revoyait, des yeux de la mémoire, Ténès baignée d'or pourpre et la silhouette auréolée de Lalia l'inoubliée, et l'ombre complice des figuiers du Sahel, et les nuits de lune sur les coteaux de Chârir, sur les lavandes d'argent et sur la mer, tout en bas, assoupie en son murmure éternel."

Aïn Djaboub, Isabelle Eberhardt, in Amours nomades.

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