J'aimerais être en capacité d'écrire quelque chose à propos de l'amitié qui n'ait pas été déjà dit cent fois. Quelque chose qui n'ait pas été battu et rebattu par les vents et marées. Quelque chose pour ceux et celles qui me font l'amitié, entre autres, de me lire. Quelque chose qui ne sente pas trop son cliché. Quelque chose qui ne vous fasse pas penser que je cherche à vous flatter, à vous plaire, mais puisse au contraire vous convaincre de ma sincérité. Quelque chose qui ne soit ni cynique, ni railleur, ni même ironique, ce qui constitue en soi une concession à l'amitié. Quelque chose qui ne tombe pas pour autant dans le monde merveilleux des Bisounours. En des temps où le mot d'ami, dont l'usage facebookien prête à rire, dont l'usage politicien prête à pleurer, est galvaudé, je peine à mettre au jour ce quelque chose.
C'est ainsi que Montaigne évoque La Boétie : « Au demeurant, ce que nous appelons ordinairement amis et amitiez, ce ne sont qu'accoinctances et familiaritez nouees par quelque occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos âmes s'entretiennent. En l'amitié dequoy je parle, elles se meslent et confondent l'une en l'autre, d'un meslange si universel, qu'elles effacent, et ne retrouvent plus la cousture qui les a joinctes. Si on me presse de dire pourquoy je l'aymoys, je sens que cela ne se peut exprimer, qu'en respondant : Par ce que c'estoit luy, par ce que c'estoit moy. » Une relation unique, fusionnelle et exclusive si l’on en croit Montaigne. Je ne pense pas pourtant que ce soit la seule qui mérite le titre d’amitié. Je ne connais pas d’ailleurs le mètre étalon de l'amitié. Je ne connais de faux amis qu’en version. Je ne connais que des rencontres, des rencontres d’enfance, d’adolescence, mais aussi des rencontres plus tardives, tout aussi décisives et riches. Je ne connais pas non plus d’âge pour se lier d’amitié : « Ayant si peu à durer, et ayant si tard commencé (car nous estions tous deux hommes faicts : et luy plus de quelque annee) elle n'avoit point à perdre temps. », écrit encore Montaigne. J’aime l’idée qu’il n’y a guère de temps à perdre.
Comme j’aime aussi celle qu’il y a toujours des possibles, d’autres possibles, qu’un ami ne chasse pas l’autre, qu’ils coexistent pleinement dans mon cœur sans prétendre à une quelconque exclusivité. Croire qu’une seule véritable amitié est possible, n’est-ce pas fermer d’emblée la porte de toutes les autres ?
Des rencontres, mais aussi des liens qui se distendent lentement, qui s’émoussent gentiment jusqu’à disparaître, des pertes définitives aussi, faut-il les regretter pour autant ? Une amitié, une période, des circonstances particulières, des instants vécus, partagés et puis perdus, autant de strates qui font de moi ce que je suis maintenant. Je redoute ces pertes, malgré tout, tout comme je redoute la solitude, depuis toujours. Mais ce sont ces craintes qui me font redoubler de vigilance : ne pas laisser filer, ne pas négliger. De loin en loin, même quelquefois, même de temps en temps, même rarement, ou de près en près, même souvent, toutes les occasions sont précieuses, tous les échanges inestimables, aussi futiles et légers qu’ils paraissent, aussi graves et sérieux qu’ils soient.
Je ne saurais pas faire sans.
1 commentaire:
Des mots à bout touchant, des émois à hauteur d'Homme et une musicalité qui font mouche....ici et ailleurs !
IsaM.
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