dimanche 8 août 2010

Démons et Merveilles # 7

Le taxi arriva de longues minutes plus tard. Après avoir récupéré son attaché-case et sa veste en évitant de les tacher l'une et l'autre avec ses mains pleines de cambouis, Kevin ferma son Audi A3, entra dans la Velsatis gris métallisée, salua le chauffeur et s'assit à l'arrière du véhicule spacieux et confortable

- Bonjour Monsieur.

- Bonjour. Je commençais à m'inquiéter... Je vous préviens, je suis passablement pressé. J'espère que vous conduisez aussi bien qu'efficacement... Va falloir rattraper ce retard. Vos collègues ont déjà dû vous prévenir : précision, efficacité, rapidité. C'est comme ça chez moi, sauf aujourd'hui, allez savoir pourquoi. Le sort semble s'acharner. Je compte sur vous, je dois être au Tribunal dans une demie-heure maintenant. Ne perdons pas de temps !

- Ne vous inquiétez pas, monsieur, je vous assure que vous y serez. Les collègues me surnomment Cougar. Il paraît qu'ils n'ont jamais vu un collègue aussi rapide que moi. Et seulement deux accidents à mon actif en trente cinq ans de carrière !

- Impressionnant, effectivement... Si vous pouviez tout de même prendre la peine de faire mentir le proverbe, je vous avoue que cela m'arrangerais.

Le chauffeur démarra en trombe, évitant de justesse une voiture qui les doublait, s'engagea sur le périphérique quelques kilomètres plus loin et alluma la radio. Il semblait être adepte de Jazz et ne tarrissait pas d 'éloges sur cette passion qui paraissait, à elle seule, remplir la majeure partie de son existence.

- C'est votre femme qui doit être contente ! un Taxi mélomane, ça ne court pas les rues !

- J'suis pas marié. Pas d'enfants non plus. J'ai bien eu une ou deux aventures sérieuses mais j'aime mieux être seul. Les femmes, c'est beaucoup d'emmerdes, alors les gosses... ! Bon c'est vrai que je m'dit parfois que j'aurais moins à faire si j'avais trouvé une p'tite femme. Quand je vois les copains, ils s'en font pas : j'rentre, j'mets les pieds sous la table, un bisou aux gosses et voilà le travail. Mais bon, quand on veut aller se faire une virée, c'est toujours compliqué parce que bobonne elle veut pas que son homme aille courir les bars... ou les filles ! Alors finalement, j'me dit que c'est mieux comme ça.

- Vous ne vous ennuyez jamais tout seul ?

- Ca risque pas, j'suis jamais tout seul, la preuve. Je discute avec les clients, j'retrouve les copains au bistrot, j'fais plein de trucs quoi. J'suis un solitaire qui aime la compagnie.

J'aurais une nouvelle fois mieux fait de me taire. Je sens qu'il est parti, là. La vie trépidante d'un petit chauffeur de Taxi provincial... un vrai régal ! Cela m'amuse tout de même assez de voir à quel point les similitudes sont définitivement flagrantes entre les hommes, et entre les femmes, quel que soit le milieu social des uns ou des autres. Maman trime à la maison pendant que papa s'amuse au travail... Les schémas ne sont pas prêts de s'inverser, je vous le dis. Et ce n'est pas une vague libération de la femme ou l'« aide » plus substantielle des hommes dans le champ domestique dont se targue la presse plus féminine que féministe qui y changera quelque chose !

Kevin fit mine de se concentrer sur les dossiers qu'il venait de sortir de sa mallette. Le chauffeur finit par se taire, à contre-coeur, remarquant enfin qu'il ne bénéficiait plus d'une oreille très attentive. Ils arrivaient à proximité du tribunal et Kevin rangea ses affaires afin de se tenir prêt à bondir hors de la Velsatis. Il ne lui restait que dix minutes, une robe à enfiler et un dossier à regarder une nouvelle fois. Il allait lui falloir la jouer serrée cette fois-ci. Heureusement, il avait l'avantage de faire partie de ces gens qui mémorisent chaque détail sans même avoir besoin d'en prendre note.

- Et vous, vous faites quoi dans la vie ?

- Je vous demande pardon ?, dis Kevin en tournant la tête.

- C'est quoi vot'boulot ?

- Mon « boulot » consiste à défendre des individus qui semblent avoir commis des faits délictueux et qui sont passibles, pour la plupart d'entre eux, d'une peine qui leur permettra de finir leur vie derrière les barreaux... En clair, je suis avocat. Et je ne défend que des causes perdues !

- Intéressant !... J'peux vous demander un petit service ?

- Tout dépend lequel. Dites toujours.

Kevin commençait à s'impatienter et ne pensait plus qu'à cette audience qui devait avoir lieu quelques minutes plus tard. Décidemment, on lui avait envoyé un bavard aujourd'hui. Et en plus, il allait vouloir user gratuitement de ses services pour une sombre histoire de PV ou de haie mitoyenne mal coupée. Je le vois venir d'ici...

- J'veux bien vot'e carte, M'sieur. On sait jamais par les temps qui courent, si jamais j'avais besoin d'un avocat, je préfèrerais faire appel à un client sympathique qu'à un voleur. Avocat ! Quel métier de truand. Enfin, j'dis pas ça pour vous...

Je lui tendis ma carte à contre-coeur, une vague intuition d'emmerdements prochains à l'esprit. C'est dingue ce que les gens ont besoin de créer des catégories pour se rassurer. Les Avocats, tous des rustres et des malappris qui spolient leurs clients ! Le bon vieux cliché comme je l'ai souvent entendu. Enfin, si ca en rassure certains...

- Merci bien, m'sieur et bonne journée à vous. Si vous avez besoin un jour, moi c'est Gérard Menvu. Je sais, ça fait rire les copains. Mes parents avaient beaucoup d'humour, parait-il... Ca doit être de famille !

- Au revoir, monsieur Menvu. Merci pour la course. Dites à votre patron d'envoyer la facture à ma secrétaire, comme d'habitude. Bonne journée !

Kevin claqua la porte et monta quatre à quatre la volée de marches qui le séparait de l'imposante porte d'entrée en verre fumé du Tribunal de Grande Instance. Gérard Menvu, il y en a vraiment qui n'ont peur de rien ! Enfin au moins, on ne risque pas de l'oublier celui-là...


3 commentaires:

Anonyme a dit…

Il y a erreur... Cougar, sont ce ces femmes mûres croqueuses d'hommes tendres ?... Anonym...A

Caro a dit…

Chacun ses références en la matière.
Tout est toujours une question de point de vue, ou d'angle d'attaque ! Les deux semblent savoir y faire en tout cas...

Jeanne a dit…

Que devient Kévin...? Il me manque bien, à moi...