mercredi 27 octobre 2010

Neuf mois #1


Photo Marc Lec'hvien


Le bébé de Léna
Mois 1.


Dans son sac à main, le résultat tant espéré ; au creux de son ventre, une étincelle de vie ; sur ses lèvres, un immuable sourire. Léna attend avec impatience son premier rendez-vous avec le gynécologue, le mois prochain. Personne ne sait encore. Ni son amie Marianne, ni sa mère, ni ses collègues, ni l’hypothétique père. Elle s’est promis de ne rien révéler avant le troisième mois, avant que l’étincelle ne soit accrochée à la vie avec certitude. Du bus qui la ramène chez elle, elle scrute avidement la rue et s’attarde sur les landaus poussés dans la précipitation des dix-huit heures sonnées, les jeunes enfants tirés sans ménagement par la main, le doudou fermement tenu dans l’autre. Ce n’est certainement pas son salaire qui lui permettra de changer de logement. Il faut « repenser » l’aménagement de son F2. Au quatrième sans ascenseur avec une poussette, comment fait-on ? Dans le métro, comment fait-on ? Une place en crèche, comment fait-on ? A trente-neuf ans, elle craignait d’entendre sonner le glas de la maternité, tout en sachant qu’on est moins fraîche qu’à vingt. Sans compter qu’elle sera seule à l’assumer. Elle l’a voulu, imaginé, bercé avant qu’il n’existe. A vingt-cinq ans, il n’en était pas question, son job avant tout, elle espérait faire carrière. A trente ans, elle y avait renoncé. Puis, d’aventures en liaisons, elle a cherché un père potentiellement acceptable. Ils ont pris la fuite l’un après l’autre. A trente-sept ans, elle y avait renoncé. Aujourd’hui, elle est persuadée d’avoir enfin fait le bon choix, à moins que le choix ne se soit imposé à elle : « un bébé pour elle seule. »


Le K de Clémence
Mois 1.


Dans son sac à main, le résultat tant redouté ; dans son sein, une menace de mort ; dans ses yeux, des larmes inextinguibles. Clémence sort du rendez-vous avec le spécialiste qui a analysé mammographie et biopsie. Personne ne sait encore. Elle voulait être sûre. Vous aimez ce que vous faites ? Oui. Parce que nous allons passer neuf mois ensemble. Neuf mois ? C’est une blague. Au pire, elle avait compté sur trois. Le temps d’extirper cette saloperie et basta. Depuis qu’elle l’a sentie, elle s’observe en cherchant des signes de maladie, mais elle n’est pas malade, elle le sent, elle n’a rien. Il se trompe. Ils se trompent tous. Elle n’a rien. Même si les enveloppes kraft bleues du cabinet d’imagerie médicale osent dire le contraire. Il est temps de prévenir. Son mari. Son patron. Son amie, Marianne. Ses enfants. Sa mère. Ses collègues. Leur expliquer le protocole qu’elle n’a pas eu le temps d’assimiler elle-même. Les rassurer quand elle peine à espérer elle-même. Traiter la chimio de bagatelle, parler d’opération, d’ablation. Répondre aux questions auxquelles elle n’a pas de réponse. Dans la rame de métro, elle scrute avidement les autres femmes. Une sur huit. Elle les compte. Elle est la huitième. Elle se sent frappée de manière totalement aléatoire et injuste. Elle n’a que trente-neuf ans. Elle ne peut pas mourir maintenant. Elle ne peut même pas se soigner maintenant. Elle a trop de choses à faire. Elle renonce soudainement à repasser au bureau comme promis, se rue hors du métro et rentre chez elle à pied, se rencogner dans sa bulle où elle prie qu’on ne puisse pas l’atteindre. Puis, elle songe : « Le mal est à l’intérieur. »

1 commentaire:

Caro a dit…

Le Yin et le Yang...
Les deux faces d'un même monde...
Les deux faces de nos existences...