dimanche 6 février 2011

A mort et Amore

Padova, 1523. Venezia, 1554.

Quelques années de profondes souffrances, incurables, lanscinantes, auront suffit à faire de l'oeuvre poétique de Gaspara Stampa, l'incontournable plainte d'une amoureuse éconduite, le joyau de la forme classique d'un art dans lequel elle excellait.
Fille d'une vénitienne et d'un joaillier issu d'une noble famille milanaise, Gaspara Stampa se vit dispenser ce que l'on pourrait qualifier aujourd'hui d'une éducation culturelle aussi classique que solide, fréquentant dans le même temps ce qui se faisait de plus distingué sur la place milanaise.
Alors qu'elle n'a que sept ans et suite au décès de son père, Madame Stampa décide de s'installer à Venezia, avec Gaspara, Cassandra, sa soeur aînée et Baldassare le petit frère.
Ses talents poétiques et musicaux font rapidement l'admiration de tous. Sa présence dans les cercles cultivés da Venezia, les "ridotti", commence à être fort recherchée.
Un nouveau drame endeuille la famille Stampa en 1544. Le décès de Baldassare plonge Gaspara dans une crise morale profonde au cours de laquelle elle pense même rentrer dans les ordres.
C'est en 1548, dans le ridotto du mécène Domenico Venier, qu'elle fait alors connaissance du Comte Collatino di Collato, jeune seigneur de la région de Trévise. Ils sont tous deux férus de poésie et une véritable passion naît entre ces deux-là. En 1550, après une longue campagne militaire en France auprès du roi Henri II, Collatino emmène Gaspara dans son Château de San Severino. Il finira pourtant par délaisser progressivement cette maîtresse follement amoureuse, multipliant les déplacements militaires et les "aventures" féminines. Gaspara souffre alors en silence de l'indifférence chronique de son amant. Seuls les mots demeurent, ceux dont elle fera de si beaux et si tristes poèmes.
Gaspara finira par rentrer à Venezia. La relation avec Collatino s'épuise. Puis cesse définitivement.
Très affectée par cette rupture et malgré un cercle amical prévenant, Gaspara multiplie les graves problèmes de santé.
Elle s'éteindra finalement à l'âge de trente et un ans, le 23 avril 1554, dans la cité qui a vu naître un si nostalgique talent : Venezia. La quasi-totalité des trois cent onze poèmes de son recueil a été écrite lors de sa relation avec Collatino. Leur puissance émotionnelle est à la hauteur des incurables souffrances auxquelles elle n'a jamais pu faire face.

Vous aurez compris la haute nécessité qu'il y a à découvrir une telle oeuvre, féminine s'il en est.
Pour les plus courageux, je vous conseille l'édition bilingue de chez nrf. Pour les autres la traduction est de grande qualité, même s'il est définitivement impossible de transcrire la musicalité de cette si belle langue qu'est l'italien, et dont Gaspara se fit l'involontaire ambassadrice.

"Chi darà penne d'aquila o colomba
al mio stil basso, si ch'ei prenda il volo
da l'Indo al Mauro e d'uno in altro polo,
ove arrivar non puo saetta o fromba ?

e, quasi chiara e risonante tromba,
la belleza, il valor, al mondo solo,
di quel bel viso, ch'io sospiro e colo,
descriva si, che l'opra non soccomba ?

Ma, poi che cio m'è tolto, ed io poggiare
per me stessa non posso ove convenie,
si che l'opra e lo stil vadan di pare

l'udranno sol queste felici arene,
questo l'Adria beato e chiaro mare,
porto de' miei diletti e di mie pene."

" Qui donnera des ailes d'aigle ou de colombe
à mes vers, pour qu'enfin ils s'élèvent et volent
de l'Inde au pays Maure, et touchent les deux pôles,
au-delà des régions qu'atteignent flèche ou fronde,

et comme une trompette au son clair et vibrant
ils proclament l'éclat, la valeur sans pareille
du bel objet de mes soupirs et de mon culte,
sans être dépassés par la hauteur de l'oeuvre ?

Cela m'est refusé, et je ne puis moi-même
atteindre cette cime ou devrait parvenir
mes chants, pour être égaux à ce noble projet;

et seules m'entendront ces plages fortunées,
et cette Adriatique heureuse, lumineuse,
havre de mes plaisirs et de mes peines."

Poèmes, Gaspara Stampa.

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